12 janvier 2020
Dans les années 70, les tenants de la “libération sexuelle” se nourrirent fortement des travaux du philosophe Michel Foucault. Dans son célèbre ouvrage “Histoire de la sexualité”, l’intellectuel théorisait qu’au cours du 19ème siècle, la sexualité avait subi une vague de “pathologisation”, qui visait à classer comme “déviance” tout ce qui s’éloignait de la sexualité reproductive. Il disait qu’au fond, ce n’étaient pas les pratiques qui étaient problématiques, mais plutôt le regard moral que la société posait sur elles.
Ces travaux eurent un effet très positif sur la décriminalisation de l’homosexualité ; mais malheureusement les tenants de la “libération sexuelle” n’en restèrent pas là : ils développèrent un raisonnement qui définissait la norme comme violente en soi, et l’opposition à la norme comme progressiste en soi, et ce, indépendamment des normes dont il était question. Et ils appliquèrent ce raisonnement à l’ensemble des pratiques sexuelles, y compris à la pédophilie.
Dans l’entretien de 1979 entre Foucault, J. Danet (avocat) P. Hahn (journaliste) et G. Hocquenghem (prof de philo, auteur et journaliste à Libé), intitulé « la loi de la pudeur », on peut lire 4 hommes de lettre expliquer que ce n’était pas la pédophilie qui était l’acte oppressif, mais bien le fait de vouloir “protéger les enfants” sans tenir compte de l’expression de leur consentement
Au cours du raisonnement de Foucault, l’abus « intolérable et inacceptable » n’est donc plus la pédophilie, mais le fait de la juger. A ses yeux, les réel·les oppresseurs·ses, les réels dangers sont les personnes critiques, les « puritain·es », les « censeurs oppressifs ». Ce raisonnement est encore répandu à l’heure actuelle, à gauche comme à droite :
Dans son livre publié en 2004, « Undoing Gender », Judith Butler – souvent caractérisée comme une disciple de Foucault – reprend ces arguments. Elle écrit : « Je continue donc à ajouter cette qualification : « lorsque l’inceste est une violation », ce qui laisse entendre que je pense qu’il peut y avoir des cas où il n’en est rien. Pourquoi est-ce que je parlerais de cette façon ? Eh bien, je pense qu’il y a probablement des formes d’inceste qui ne sont pas nécessairement traumatisantes ou qui acquièrent leur caractère traumatisant en raison de la conscience de la honte sociale qu’elles produisent » (p.157) Nous y voilà : selon Butler, ce n’est pas l’acte de violence sexuelle qui est traumatique, mais la stigmatisation qui lui est attachée.
Elle enchaîne avec le retournement de situation désormais usuel, consistant à dire que ce sont les personnes dénonçant la violence qui sont violentes : « La réification du corps de l’enfant comme surface passive constituerait donc, à un niveau théorique, une privation supplémentaire de l’enfant : la privation de la vie psychique » (p. 155) (traduisonsla : ce sont les personnes considérant l’enfant comme une victime d’inceste qui objectifient et oppriment l’enfant).
Et elle termine par une ouverture à la décriminalisation de l’inceste, accusant l’interdiction de l’inceste d’être « la violation » : « Il faudrait donc peut-être repenser l’interdiction de l’inceste comme celle qui protège parfois contre une violation, et qui devient parfois l’instrument même d’une violation » (p.160)
La théorie selon laquelle ce n’est pas la violence sexuelle qui fait mal mais le stigmate qui y est associé est enseignée aux étudiants en sciences sociales depuis des dizaines d’années. En conséquence, les arguments de Foucault sont désormais utilisés par les militants pro libéralisme sexuel (autrement appelé les « sex-positifs ») au sujet de toutes les violences sexuelles : de la même manière que Foucault trouvait « intolérable » de partir du principe que le consentement d’un enfant à un acte pédophile était forcément vicié, les « sex-positifs » trouvent intolérable de postuler que le consentement d’une personne qui accepte d’être frappée, dégradée ou rémunérée pour de la violence puisse poser question. Et ce, en dépit de ce que l’on sait aujourd’hui sur les mécanismes du psychotraumatisme. Dans leurs raisonnements, les libéraux sexuels utilisent la même dialectique :
Attention, il n’est évidemment pas ici question de dire que les personnes pratiquant la violence sexuelle consentie sont comparables à des enfants.
Nous voulions simplement éclairer l’acte de naissance de l’argumentaire d’ « inversion de la source de violence« , actuellement omniprésent dans les médias, et toujours caractérisé par 3 étapes :
1) la non-prise en compte des vulnérabilités des personnes violentées
2) l’exemption de condamnation des agresseurs
3) le report de la notion de violence sur le stigmate plutôt que sur la violence sexuelle
Une parfaite illustration de cette inversion peut être trouvée dans la notion de « kink-shaming », qui est souvent utilisée pour dire que la violence ne réside pas dans le fait de frapper une femme, mais dans le fait de faire honte aux personnes qui veulent frapper des femmes. C’est aussi l’argumentaire qui sous-tend que ce sont les abolitionnistes de la prostitution qui sont les personnes réellement violentes, et pas les « clients » ou proxénètes.
Les « sex-positifs » sont ainsi les dignes héritiers de Foucault : pour eux, quand la société parle de sexe, toute volonté de pose de limites est violente, patriarcale, méprisante. Dans leurs raisonnements comme dans celui de Foucault, les oppresseurs ne sont jamais ceux qui tirent de la jouissance de la subordination de l’Autre, mais ceux qui se permettent de critiquer ce rapport de pouvoir.
Ce que nous pouvons apprendre de ces dérives sur la pédocriminalité, c’est qu’interdire d’interdire n’est pas la solution miracle pour garantir la liberté et de l’épanouissement de tous·tes. Certaines limites sont là pour protéger et, que ce soit pour un enfant ou pour un adulte, une réflexion sur le consentement à des franchissements de limites doit toujours se faire en parallèle avec
Pour une réflexion plus approfondie sur le jugement et la sexualité, nous vous invitons à lire notre article « L’injonction à la tolérance sexuelle : 7 bonnes raisons de ne plus dire « il ne faut pas juger » »