Réflexions sur l'érotisation de la violence

Slogans de manifs : génération porno marche pour le climat

24 mars 2019

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Ce mois-ci avaient lieu diverses marches pour le climat, dont celles des lycéen·nes. Au cours de ces dernières, on a pu voir de nombreuses jeunes femmes porter des pancartes tels que « détruisez ma chatte, pas le climat », « nique ta mère, pas ta mer », « baise mon trou, pas l’ozone ». Ces slogans éminemment violents et patriarcaux nous ont retourné les tripes.

Bouffer, Raser, Trouer, Détruire, Punir : la violence du vocabulaire patriarcal

Ce qui marque en lisant ces slogans, c’est non seulement le degré de violence du vocabulaire, mais le fait que des personnes y réclament de la subir. A-t-on déjà vu d’autres luttes dans lesquelles des opprimé·es revendiqueraient aussi massivement qu’un type de violence historiquement centrale dans leur oppression matérielle, centrale dans l’imaginaire de leur infériorité, leur soit réservée à elles plutôt que d’être infligées à d’autres ? A-t-on déjà vu des opprimé·es qui dirait « plutôt que de déchaîner votre mépris et votre violence contre ces gens/cette chose, faîtes-le moi à moi, c’est ma fonction, nous sommes là pour ça ? »
La violence est flagrante dans l’utilisation des mots « détruire » et « trouer », et quant aux petits malins qui prétendraient que les verbes « enculer » et « baiser » ne sont pas forcément négatifs : ces jeunes femmes ont grandi dans un monde dans lequel « se faire baiser », « enculé », « va te faire enculer », sont des insultes, parmi les plus virulentes et dégradantes qui soient. Leurs pancartes sont basées sur cette pleine (re)connaissance du sens social du verbe « enculer » : mépriser, faire du mal à, déglinguer, détruire. Et ce qu’elles y disent c’est « ne faites pas ça à la planète, faites-moi ça à moi, je suis là pour ça ».

Nous avons mal pour nos petites soeurs.

Un tel niveau d’objectivation sexuelle intériorisé chez des filles aussi jeunes nous brise le coeur. Et si nous nous sentons aussi intimement touchées, c’est que nous sommes plusieurs dans ce collectif a avoir cru, nous aussi, que nous n’étions « bonnes qu’à ça », à avoir désespérément cherché de la valorisation masculine, à avoir gobé la rhétorique de l’ « empowerment », à avoir sombré dans la culture du viol pour mieux tenter de nous en affranchir.
Mais c’est parce que nous sommes nombreuses à avoir subi cela, que nous sommes aujourd’hui nombreuses à pouvoir dire que non, c’était faux, que nous sommes des personnes, que la baise n’est pas le sexe, que la violence n’est pas la liberté, et qu’on peut vraiment, un jour, savoir ce que c’est qu’aimer et désirer, et que c’est incomparable avec ce que des hommes nous infligeaient.

O surprise, ces slogans sont massivement diffusés par de vieux hommes

Une fois encore, comme c’est le cas chaque fois que des femmes promeuvent des messages violents envers les femmes, c’est la foire aux chevaliers de la libertay d’expression et de la libertay sexuelle. Et alors, ça s’en donne à coeur joie, depuis le chevalier blanc « mais laissez-les s’exprimer! » jusqu’au vieux porc ouvertement libidineux « rha la jeunesse et sa fraîcheur, elles sont si mignonnes ». Mais tout va bien, puisqu’ils vous disent que c’est FÉMINISTE ! Mention spéciale aux pros de la novlangue gauchiste, les bitards qui diffusent ces slogans machistes sous couvert d’affirmer leurs « soutiens inconditionnels à leurs soeurs de lutte ». Soeurs ? Mes cocos, un petit reality check s’il vous plait, les femmes qui portent ces panneaux ont l’âge d’être vos FILLES, pas vos soeurs.

Donc, petit rappel des faits : VOUS ÊTES DES MECS DE 50 ANS QUI PUBLIENT DES IMAGES NON-FLOUTÉES DE FILLES DE 14 ANS DEMANDANT À ÊTRE SODOMISÉES.

Et si ce rappel des faits ne suffisait pas à ouvrir les yeux sur le caractère déplacé et misogyne de vos actes, peut-être est-il utile de procéder à un petit rappel à la loi ?

  • Le droit à l’image interdit interdit la diffusion de photos dès lors que celles-ci ont un caractère humiliant ou dévalorisant pour les personnes qui y figurent.
  • Article 226-1 du code pénal : « La diffusion d’images à caractère sexuel pris dans un lieu privé ou public est punie par la loi, même si la personne était consentante à être enregistrée ou prise en photo au moment des faits »
  • Article 227-23 du code pénal : « La fabrication, la transmission, la diffusion d’images de mineurs à caractère pornographique est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende »
  • Article 227-24 du Code pénal : « Il est interdit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. »

Préserver nos chattes et le climat : même combat

Si les slogans pornifiés de ces pancartes sont si tragiques, c’est que la destruction de la planète est profondément liée à la volonté de domination patriarcale : ce sont les mêmes personnes qui violentent les femmes et la planète, et leur livrer les premières en pâture ne permettra en rien de préserver la seconde. Au contraire, cela ne fera que renforcer leur sadisme, leur jouissance du contrôle et de la destruction.

Alors non, petite soeur, ne détruis pas, ne demande pas à ce qu’on détruise ta chatte. Ta chatte est un endroit sensible, beau, puissant. Elle est son propre écosystème. Elle mérite qu’on soit gentille avec elle, qu’on l’écoute, qu’on la respecte, qu’on lui dédie des messages d’amour, des rituels intimes et des feux de joie. Ta chatte ne mérite pas d’être détruite, trouée, rasée. Ni elle, ni toi.
« Détruire » : laisse ça aux hommes avec un petit h, aux promoteurs, aux PDG, aux fiscalistes, aux bureaucrates, aux fous de Dieu. Va, ils sont bien assez nombreux.
Toi et moi, donnons-nous la main et préservons, construisons. Construisons un monde de 50 nuances de délicatesse plutôt que de détresse.