9 mars 2019
Il y a tout un tas de raisons qui peuvent pousser une personne à fantasmer sur le viol et les violences, à commencer par une culture qui nous présente fréquemment le non-consentement comme quelque chose d’érotique
et dans laquelle une femme assumant son désir reste souvent perçue comme moins sexy qu’une femme qui se refuse.
Il y aurait beaucoup de choses à dire là dessus mais, dans cet article, nous allons surtout nous pencher sur le lien entre les fantasmes de viol et le psychotraumatisme :
Tout d’abord, pour une personne qui a déjà vécu des violences sexuelles, les fantasmes de viol rentrent dans la catégorie de ce qu’on appelle « les conduites dissociantes », et on peut les expliquer en observant ce qu’il se passe dans le cerveau. En effet, chez une personne qui a eu des expériences traumatiques (en tant que victime ou que spectatrice), vivre de nouvelles violences, ou imaginer en vivre, relâche des hormones dans le cerveau qui donnent un sentiment d’apaisement. Pour mieux comprendre ce phénomène, consulter l’article « quand on me fait mal je me sens bien : les conduites dissociantes »
Par ailleurs, il y a un deuxième phénomène qui rentre en compte, qu’on appelle l’identification à l’agresseur : les soignants qui ont étudié les personnes traumatisées se sont rendus compte que, très souvent, la victime avait beaucoup de mal à différencier les ressentis de l’agresseur et les siens propres ! Il est en effet fréquent que la personne violentée internalise le violenteur, son acte et son intention : elle s’identifie aux intentions de l’agresseur et se met à ressentir du mépris ou de la haine envers elle-même, haine qui lui provoque de la jouissance (en fait, il s’agit de la jouissance de l’agresseur, mais la victime pense que c’est la sienne).
Pourquoi ? Parce qu’au moment d’une agression, la victime est « dé-subjectivée », c’est à dire qu’elle n’existe plus en tant que sujet, que personne. Et puisqu’elle « n’existe plus », et bien elle s’identifie aux émotions de la seule autre personne dans l’interaction : l’agresseur.
Le thérapeute Saverio Tomasella a beaucoup écrit sur les mécanismes qui causent l’identification à l’agresseur :
« La profanation est un acte délibéré d’une personne sur une autre en vue de la déshumaniser. […] L’interdit de penser enferme le sujet dans l’impuissance à repérer, à dénoncer et à interroger. Il fige l’être dans le passé, par une fascination envers le moment traumatique, sur lequel il reste fixé. »
Tomasella explique que l’agression sexuelle cause fréquemment une « addiction psychique » aux victimes – qui sont obnubilées par les violences subies – ainsi qu’une « addiction physique » à l’excitation artificiellement imposée au moment de l’effraction.
« Dans cette double dépendance réside aussi une des explications de la complexité du phénomène mimétique par lequel l’identité de la personne abusée peut en arriver à se confondre avec celle de l’agresseur et de l’agression. »
Il observe ainsi que l’obsession sur l’effraction peut rendre des victimes dépendantes envers leurs bourreaux !
Finalement, parce qu’il y a à la fois un relâchement hormonal apaisant, et une confusion sur la cause de l’excitation, une personne peut développer ce qu’on appelle de l’ « excitation traumatique », c’est à dire qu’à l’idée de violences, son corps peut déclencher des signaux qui sont ceux de l’excitation (tétons qui pointent, sexe lubrifié). Ces symptômes sont assez semblables à ceux d’une personne qui est sur le point de s’auto-mutiler… ou de sauter en parachute ! Il y a alors tout un travail à accomplir pour arriver à différencier l’excitation causée par la peur et le trauma, et celle causée par l’envie d’un rapport sexuel.
Une grande partie des textes de la section « psychotrauma » sont inspirés, ou issus, des travaux de la médecin Muriel Salmona. Vous pouvez consultez ses écrits sur son site.