9 mars 2019
Une personne qui a connu des traumatismes dans son passé développe souvent des conséquences psychotraumatiques (angoisses, cauchemars, maladies, sentiment de mal-être etc). Pour échapper à sa souffrance, la victime traumatisée qui n’est pas prise en charge ni protégée va mettre en place deux principales stratégies de survie et d’auto-traitement : les conduites d’évitement et les conduites dissociantes.
Elles consistent à éviter TOUT ce qui est susceptible de libérer des hormones de stress dans le cerveau. Par exemple, on peut commencer à éviter de prendre le métro, à éviter de se retrouver dans une foule, à éviter les sons forts ou les lumières qui clignotent, à éviter les supermarchés. Mais aussi tout ce qui est susceptible de réveiller la mémoire traumatique et le souvenir des violences : situations, pensées, sensations… Par exemple, en évitant certains cercles sociaux, ou même de croiser un prénom ! Concrètement, les conduites d’évitement peuvent être à l’origine d’un retrait social et affectif, de phobies, d’obsessions, d’une peur de tout changement, d’intolérance au stress, de troubles du sommeil et de troubles cognitifs.
Alors, elles peuvent facilement être mal diagnostiquées, être identifiées comme de la dépression, de la bipolarité, un trouble borderline, ou de l’autisme.
À l’inverse des conduites d’évitement, les conduites dissociantes consistent à aller au devant du danger. Le but pour la personne traumatisée est de redéclencher un sentiment de peur suffisamment fort pour que le cerveau se remette à diffuser des endorphines et des kétamines, ce qui va lui permettre d’atteindre un état d’ « anesthésie » affective et physique qui va calmer sa détresse.
En gros, pour calmer leurs angoisses, certaines personnes ont recours à des drogues « externes » : (alcool, héroïne, cocaïne, crack, ectasy, cannabis, etc.), et d’autres aux « drogues naturellement produites par le corps ».
Une personne qui souffre de conséquences traumatiques fait rapidement l’expérience que certaines conduites calment immédiatement la souffrance en coupant toute émotion : se taper la tête contre les murs, se faire mal, se mettre en danger, s’alcooliser, se droguer, crier, être violent, manger n’importe quoi sans s’arrêter, avoir certaines pensées comme des idées suicidaires, des idées d’auto-mutilation, des scénarios fantasmés de violences extrêmes… Ces conduites lui permettent de se détacher et d’atteindre un état d’indifférence affective, ou tout au moins d’être pour un temps ailleurs dans un autre monde. Voici quelques exemples de conduites dissociantes :
Pour une ancienne victime de traumas, en particulier de violences sexistes et sexuelles, il est très fréquent de chercher à reproduire des scénarios proches du trauma afin de redéclencher la dissociation. La sexualité de la victime est alors comme « hantée » par la violence, qui lui semble être le seul moyen d’accéder à un état d’apaisement intérieur.
Ce « calme » et ce « bien-être » apportés par la dissociation sont d’ailleurs bien connus dans les milieux BDSM, qui les étiquettent sous le mot de « subspace ». Le subspace y est décrit comme un état « alternatif » et positif qu’une victime de violences sexuelle peut atteindre par sa soumission. A ce sujet, voir notre article « la violence sexuelle peut-elle être thérapeutique ? »
En fait, dans les conduites dissociantes, le risque a pour but de déclencher un sentiment de sécurité, et la douleur a pour but de causer l’analgésie.
C’est à cause de cet apparent paradoxe que les conduites dissociantes semblent très contre-instinctives : elles ne sont généralement ni identifiées ni comprises par les personnes qui les pratiquent, pas plus que par la majorité des personnels de santé (encore aujourd’hui, très peu de gens sont formés au psychotrauma). Les troubles du comportement des victimes paraissent souvent totalement incompréhensibles à l’entourage, aux professionnels qui les prennent en charge et aux victimes elles-mêmes. Les victimes ne comprennent pas pourquoi elles se « mettent en danger ». Leurs propres conduites à risque et conduites auto-agressives leurs sont incompréhensibles et culpabilisantes, elles leurs donnent le sentiment d’être folles, nulles, incapables, imbéciles, perverses… sentiments savamment entretenus par leurs agresseurs…
Les personnes qui expérimentent la dissociation sur une base régulière risquent de passer de la dissociation primaire (vivre un moment de « sortie du corps » au cours d’une expérience trop bouleversante), à de la dissociation secondaire (voir son « moi expérimentant » par les yeux de son « moi observant », le second commentant le premier) ou à de la dissociation tertiaire (création de « personnalités » indépendantes les unes des autres, qui « stockent » les expériences traumatisantes, un peu comme dans un Trouble Dissociatif de l’Identité).
De nombreuses personnes expérimentant la violence sexuelle par le biais de la prostitution ou du BDSM développent de la dissociation tertiaire : il n’est pas rare qu’elles aient même des « alters-egos », qui ont leurs propres prénoms et caractéristiques, et qui encaissent la violence. La dissociation des personnalités permet alors de conserver des espaces dans lequel un « moi » est protégé, sauvegardé de la haine, de l’humiliation et de la violence. Le « moi » qui subit la violence est souvent perçu comme « incassable » et il n’est pas rare que l’autre part de la personnalité ne se rappelle que vaguement ce qu’ « il » subit.
En suivant une thérapie spécialisée sur le trauma et la dissociation, les victimes peuvent réintégrer leurs différentes « personnalités » au sein d’un moi unifié. Elles arrêtent alors de recourir à des conduites auto-destructrices et retrouvent un contrôle sur leurs vies et leurs santés physiques et psychiques.